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— Non, Monsieur, c’est dans la forêt qu’il faut que vous alliez… L’air vous vaut mieux là…

— Bien, bien, Marie, je vais aller dans la forêt.

Parfois, le voyant alourdi, ensommeillé, elle lui frappait sur l’épaule :

— Pourquoi qu’vous prenez pas vot’ fusil, Monsieur ? Il y a joliment des pinsons, dans le parc.

Et mon père, la regardant d’un air de reproche, murmurait :

— Des pinsons !… Les pauv’ bêtes !

Pourquoi mon père ne m’écrivait-il plus ? Mes lettres lui parvenaient-elles, seulement ?… Je me reprochai d’y avoir mis jusqu’ici trop de sécheresse, et je me promis bien de lui écrire le lendemain, dès que je le pourrais, une longue, affectueuse lettre, dans laquelle je laisserais déborder tout mon cœur.

Le ciel s’éclaircissait légèrement, là-bas, à l’horizon dont le contour se découpait plus net sur une lueur plus bleue. C’était toujours la nuit, les champs restaient sombres, mais on sentait que l’aube se faisait proche. Le froid piquait plus dur, la terre craquait plus ferme sous les pas, l’humidité se cristallisait aux branches des arbres. Et, peu à peu, le ciel s’illumina d’une lueur d’or pâle, grandissante. Lentement, des formes sortaient de l’ombre, encore incertaines et brouillées ; le noir opaque de la plaine se changeait en un violet sourd que des clartés rasaient, de distance en distance… Tout à coup, un bruit m’arriva, faible d’abord, comme le roulement très