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maient. Pourtant, le factionnaire qui se promenait, nonchalant, le fusil sur l’épaule devant l’auberge, arrêta un médecin du pays, comme espion allemand, à cause de sa barbe qu’il avait blonde, et de ses lunettes qui étaient bleues. Quant au sergent, ancien braconnier de profession, « se moquant du tiers comme du quart », il s’amusait à tendre des collets aux lapins, dans les haies voisines.

L’arrivée des mobiles, la menace des Prussiens, avaient jeté le désarroi parmi nous. Les cavaliers se succédaient, de minute en minute, porteurs de plis cachetés, d’ordres et de contre-ordres. Les officiers couraient, affairés, sans savoir pourquoi, perdaient la tête. Trois fois, on nous commanda de lever le camp, et trois fois on nous fit dresser les tentes à nouveau. Toute la nuit, trompettes et clairons sonnèrent, et de grands feux brûlèrent, autour desquels, dans une rumeur de plus en plus grandissante, passaient et repassaient des ombres étrangement agitées, des silhouettes démoniaques. Des patrouilles fouillaient la campagne en tous sens, s’enfonçaient dans les traverses, sondaient la lisière de la forêt. L’artillerie, parquée en deçà du bourg, dut se porter en avant, sur la hauteur, mais elle vint se heurter contre la barricade. Pour livrer passage aux canons, il fallut la démolir pièce à pièce, et combler la tranchée.

Au petit jour, ma compagnie partit en grand’garde. Nous rencontrâmes des mobiles, des francs-tireurs égaillés, qui tiraient la jambe lamentablement. Plus