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Vers le soir, des bandes de mobiles, arrivant de Chartres, très en désordre, se répandirent dans Bellomer et dans le camp. Ils firent des récits épouvantants. Les Prussiens étaient plus de cent mille, tout une armée. Eux, deux mille à peine, sans cavaliers et sans canon, avaient dû se replier. Chartres brûlait, les villages alentour fumaient, les fermes étaient détruites. Le gros du détachement français qui soutenait la retraite, ne pouvait tarder. On interrogeait les fuyards, on leur demandait s’ils avaient vu des Prussiens, comment ils étaient faits, insistant sur les détails des uniformes. De quart d’heure en quart d’heure, d’autres mobiles se présentaient, par groupes de trois ou quatre, pâles, épuisés de fatigue. La plupart n’avaient pas de sac, quelques-uns même pas de fusil, et ils racontaient des histoires plus terribles les unes que les autres. Aucun d’ailleurs n’était blessé. On se décida à les loger dans l’église, au grand scandale du curé qui levait les bras au ciel, s’exclamait :

— Sainte Vierge !… dans mon église !… Ah ! ah ! ah !… des soldats dans mon église !

Jusque-là, uniquement occupé à des fantaisies de destruction, le général n’avait point eu le temps de songer à faire garder le camp, autrement que par un petit poste établi à un kilomètre de Bellomer, sur la route de Chartres, dans un bouchon fréquenté des rouliers. Ce poste, commandé par un sergent, n’avait reçu aucune instruction précise, et les hommes ne faisaient rien, sinon qu’ils flânaient, buvaient et dor-