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pas, à la fin, je vais appeler la police, vous entendez ?…

Et me poussant vers la porte, rudement, elle ajouta :

— Ah ! bien, vrai !… Ces saligauds-là, c’est pire que des chiens !

J’eus assez de raison pour ne pas engager une dispute avec Célestine et, tout honteux, je redescendis l’escalier.

Il était minuit quand je revins rue de Balzac… J’avais rôdé autour des restaurants, cherchant Juliette du regard, à travers les glaces, entre les fentes des rideaux… J’étais entré dans plusieurs théâtres… À l’Hippodrome, où elle allait, les jours d’abonnement, j’avais fait le tour des loges… Ce grand espace, ces lumières aveuglantes, cet orchestre surtout, qui jouait un air languissant et triste, tout cela avait détendu mes nerfs, et j’avais pleuré !… Je m’étais rapproché des groupes d’hommes, pensant qu’ils parleraient de Juliette, que je saurais quelque chose. Et de tous les élégants en habit je disais :

— C’est peut-être celui-là, son amant !

Que faisais-je ici ?… Il semblait que ma destinée fût de courir, partout, toujours, de vivre sur les trottoirs, à la porte des mauvais lieux, d’y attendre la venue de Juliette !… Épuisé de fatigue, la tête bourdonnante, ne trouvant Juliette nulle part, je m’étais échoué, de nouveau, dans la rue. Et j’attendais !… Quoi ?… En vérité je l’ignorais… J’attendais tout et je n’attendais rien… J’étais là pour me sacrifier, une fois de plus