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Elle s’assit sur mes genoux, voulut essuyer mes yeux tout humides. Sa voix était devenue caressante, et son regard luisait :

— Ayez donc un peu de courage… Lâchez-la !… prenez-en une autre… une bonne, une douce, une qui vous comprendrait… Tiens !…

Et subitement, elle m’entoura de ses bras, colla sa bouche sur la mienne… Son sein, qui sortit nu hors des dentelles du peignoir, s’écrasa sur ma poitrine. Ce baiser, cette chair étalée, me firent horreur. Je me dégageai de son étreinte, brutalement je repoussai Gabrielle, qui se redressa un peu déconcertée, répara le désordre de sa toilette, et me dit :

— Oui, je comprends !… J’ai éprouvé ça aussi… Mais tu sais, mon petit… Quand tu voudras… Viens me voir…

Je m’en allai… Mes jambes étaient molles, j’avais, autour de ma tête, comme des cercles de plomb ; une sueur froide m’inondait le visage, roulait en gouttes chatouillantes le long de mes reins… Afin de pouvoir marcher, je dus m’appuyer aux murs des maisons… Comme j’étais près de défaillir, j’entrai dans un café, avalai quelques gorgées de rhum, avidement… Je ne puis dire que je souffrisse beaucoup… C’était une stupeur qui m’alourdissait les membres, un anéantissement physique et moral, où la pensée de Juliette glissait, de temps en temps, une douleur aiguë, lancinante… Et dans mon esprit égaré, Juliette s’impersonnalisait ; ce n’était plus une femme ayant son