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qu’un coup de couteau, je pris un air câlin, m’approchai d’elle.

— Voyons, ma petite Gabrielle, suppliai-je… racontez-moi.

— Vous raconter !… vous raconter !… Tenez !… vous connaissez les deux Borgsheim ?… ces deux sales Allemands !… Eh bien, Juliette était avec eux en même temps !… Ça, vous savez, je l’ai vu !… En même temps, mon cher !… Un soir, elle disait à l’un : « Ah ! bien, c’est toi que j’aime. » Et elle l’emmenait. Le lendemain, elle disait à l’autre : « Non, décidément, c’est toi ! »… Et elle l’emmenait… Et si vous aviez vu ça !… Deux ignobles Prussiens qui chipotaient toujours sur les additions !… Et puis un tas de choses… Mais je ne veux rien vous dire, parce que je vois que je vous fais de la peine !

— Non, criai-je… non, Gabrielle… racontez… parce que, vous comprenez, à la fin, le dégoût… le dégoût…

Je suffoquais… J’éclatai en sanglots.

Gabrielle me consolait :

— Allons ! allons… Ne pleurez donc pas, pauvre Jean !… Est-ce qu’elle mérite que vous vous retourniez les sangs de cette façon ?… Un gentil garçon comme vous !… Si c’est possible ?… Je lui disais toujours : « Tu ne le comprends pas, ma chère, tu ne l’as jamais compris… c’est une perle, un homme comme ça ! »… Ah ! j’en connais des femmes qui seraient joliment heureuses d’avoir un petit homme comme vous… et qui vous aimeraient bien, allez !…