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avoir tout ce que je n’avais pas, être tout ce que je n’étais pas !… Ces promenades, qui me rendaient plus pénible encore la constatation de mon abaissement, me faisaient pourtant du bien, et j’en revenais, chaque fois, avec des résolutions courageuses… Mais, le soir, je revoyais Juliette, et Juliette, c’était l’oubli de l’honneur et du devoir…

Au-dessus des maisons, le ciel s’éclairait d’une faible lueur, annonçant l’aube prochaine ; et, j’aperçus, au bout de la rue, dans l’ombre, deux points brillants, deux lanternes de voiture qui vacillaient, se balançaient, s’avançaient, pareilles à deux becs de gaz errants… J’eus un espoir, un instant d’espoir… la voiture approchait, dansant sur les pavés, les lumières grandissaient, le bruit s’accélérait… Il me sembla que je reconnaissais le roulement familier du coupé de Juliette !… Mais non !… Tout à coup, la voiture obliqua sur sa gauche, disparut… Et, dans une heure, ce serait le jour !

— Elle ne viendra pas !… Cette fois, c’est bien fini, elle ne viendra pas !

Je fermai la fenêtre et me recouchai sur le canapé, les tempes battantes, tous les membres endoloris… En vain, j’essayai de dormir… Je ne pus que pleurer, sangloter, crier :

— Oh ! Juliette ! Juliette !

Ma poitrine était en feu, j’avais dans la tête comme un bouillonnement de lave… Mes idées s’égaraient, tournaient en hallucinations… Le long des murs de