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robe, des voix chuchotantes dans le couloir… Mais ce n’était pas Juliette !… Et, depuis longtemps, l’hôtel silencieux semblait dormir… Je quittai le canapé, allumai une bougie, regardai la pendule ; elle marquait trois heures.

— Elle ne viendra pas !… Maintenant, c’est fini… elle ne viendra pas !

Je me mis à la fenêtre… La rue était déserte, le ciel, au-dessus, tout sombre, pesait sur les maisons, comme un couvercle de plomb… Là-bas, dans la direction du boulevard Haussmann, de grosses voitures descendaient, ébranlant la nuit de leurs cahots sonores… Un rat courut d’un trottoir à l’autre, et disparut par un caniveau… Je vis un pauvre chien, tête basse, la queue entre les jambes, passer, s’arrêter aux portes, flairer le ruisseau, s’en aller, l’échine dolente… J’avais la fièvre, mon cerveau brûlait, mes mains étaient moites, et je ressentais, dans la poitrine, comme un étouffement.

— Elle ne viendra pas !… Où est-elle ?… Est-elle rentrée ?… Ou bien dans quel coin de cette grande ombre impure se vautre-t-elle ?

Ce qui m’indignait surtout, c’est qu’elle ne m’eût pas averti… Elle avait reçu ma carte… elle savait qu’elle ne viendrait pas… et elle ne m’avait pas envoyé un seul mot !… J’avais pleuré, je l’avais suppliée, je m’étais traîné à ses genoux… et pas un mot !… Quelles larmes, quel sang fallait-il donc verser pour attendrir cette âme de pierre ?… Comment pouvait-