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Ces nuits-là, Juliette ne parlait que d’âme, que de ciel, que d’oiseaux ; elle avait un besoin d’idéal, de rêveries célestes… Toute petite dans mes bras, chaste comme une enfant, elle soupirait.

— Oh ! qu’on est bien ainsi !… Dis-moi de belles choses, mon Jean, des choses douces ainsi que dans les vers… J’aime tant ta voix… elle a des sons d’harmonium… parle-moi longtemps… Tu es si bon ; tu me consoles si bien !… Je voudrais vivre ainsi, toujours dans tes bras, ne pas bouger, et t’entendre !… Sais-tu aussi ce que je voudrais ?… Ah ! j’en rêve !… Avoir de toi une petite fille qui serait comme un chérubin, toute rose et blonde !… Je la nourrirais… et tu lui chanterais des chansons très jolies, pour l’endormir !… Mon Jean, quand je serai morte, tu trouveras dans ma caisse à bijoux un petit cahier rose, avec des dorures… C’est pour toi… tu le prendras… J’ai écrit là mes pensées, et tu verras si je t’aimais bien !… tu verras !… Ah ! il faudra se lever demain, sortir, quel ennui !… Berce-moi, parle-moi, dis-moi que tu aimes mon âme… mon âme !…

Et elle s’endormait ; et elle était si blanche, si pure, que les rideaux du lit lui faisaient comme deux ailes.

La nuit s’avançait ; le faubourg redevenait calme… De loin en loin, des voitures attardées rentraient, et, sur le trottoir, deux sergents de ville marchaient d’un pas lourd et traînant, toujours pareil !… Plusieurs fois, la porte de l’hôtel s’était ouverte et refermée ; j’avais entendu des craquements, des glissements de