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craignez rien de moi… je partirai… » Veux-tu ?…

Juliette me regardait, étonnée prodigieusement. Un sourire inquiet errait sur ses lèvres… Elle murmura :

— Allons, mon chéri, tu dis des bêtises… Ne pleure pas, viens !

M’en allant, je continuais de gémir :

— Une bête aurait pitié !… Oui, une bête…

D’autres fois, elle envoyait Célestine pour me chercher, et je la trouvais couchée dans son lit, fraîche, triste et lasse. Je comprenais que quelqu’un était là, tout à l’heure, qui venait de partir ; je le comprenais au regard plus tendre de Juliette, à tout ce qui m’entourait, au lit qui avait été refait, à la toilette rangée avec un soin trop méticuleux, à toutes les traces effacées, et que je voyais reparaître dans leur réalité horrible et douloureuse. Je m’attardais dans le cabinet de toilette, fouillant les tiroirs, interrogeant les objets, descendant à un examen ignoble des choses familières… De temps en temps, de la chambre, Juliette m’appelait :

— Viens donc, mon chéri !… qu’est-ce que tu fais ?

Oh ! reconstituer son image, percevoir une odeur de lui !… Je humais l’air, dilatant mes narines, croyant saisir des senteurs fortes de mâle, et il me semblait que l’ombre de torses puissants s’allongeait sur les tentures, que je distinguais des carrures d’athlète, des bras héroïques, des cuisses nerveuses et velues, aux muscles bombants.

— Viens-tu ?… disait Juliette…