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— Elle ne viendra pas… Où est-elle ?… Que fait-elle ?

Je n’avais pas allumé de bougies… Les fenêtres, éclairées par les lumières de la rue, glissaient dans la pièce un jour sombre, projetaient sur le plafond une clarté jaune, où l’ombre des rideaux se dessinait et tremblait… Et les heures s’écoulèrent, lentes, infinies, si infinies et si lentes qu’on eût dit que le temps, subitement, avait cessé de marcher.

— Elle ne viendra pas !

De la rue, m’arrivait le bruit ininterrompu des voitures ; les omnibus roulaient lourdement, les fiacres fatigués ferraillaient, les coupés passaient, plus légers et plus rapides… Quand l’un d’eux rasait le trottoir ou ralentissait son allure, je me précipitais à la fenêtre, que j’avais laissée entr’ouverte, et je me penchais vers la rue… Aucun ne s’arrêtait.

— Elle ne viendra pas !

Et, tout en disant : « Elle ne viendra pas ! » j’espérais bien que Juliette serait là dans quelques minutes… Que de fois je m’étais roulé sur le canapé, en criant : « Elle ne viendra pas ! » et Juliette était venue !… Toujours, au moment où je désespérais le plus, j’entendais une voiture s’arrêter, puis des pas dans l’escalier, puis un craquement dans le couloir, et Juliette apparaissait souriante, empanachée, emplissant la chambre d’un parfum violent, et d’un froufrou de soie remuée.

— Allons, prends ton chapeau, mon chéri.

Irrité par ce sourire, par ces toilettes, par ce parfum,