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spectacles les plus simples qui me semblèrent nouveaux. Et je me demandais avec stupeur comment j’avais pu être malheureux aussi longtemps, comment mes yeux ne s’étaient pas ouverts plus vite à la vérité… Ah ! la méprisable Juliette !… Comme elle avait dû rire de mes soumissions, de mes aveuglements, de mes pitiés, de mes inconcevables folies !… Sans doute, elle racontait à ses amants de hasard mes douleurs imbéciles, et ils s’excitaient à l’amour en se moquant de moi !… Mais j’aurais ma revanche, et cette revanche serait terrible !… Bientôt Juliette se roulerait à mes pieds, suppliante ; elle implorerait son pardon.

— Non, non, misérable, jamais !… Quand j’ai pleuré, m’as-tu consolé ?… M’as-tu épargné une souffrance, une seule ?… Un seul instant, as-tu consenti à accepter ma misère, à vivre de ma vie ?… Tu n’es pas digne de partager ma gloire… Non… va-t’en !

Et pour lui marquer mon mépris irrémédiablement, je lui jetterai des millions à la figure.

— Tiens des millions !… En veux-tu des millions ?… Tiens, encore !

Juliette se tordra les bras de désespoir ; elle criera :

— Pitié, Jean !… pitié !… Oh ! de l’argent, je n’en veux pas !… Ce que je veux, c’est vivre cachée, toute petite, dans ton ombre, heureuse si un seul des rayons de la lumière qui t’entoure vient, un jour, se poser sur ta pauvre Juliette… Pitié !

— As-tu eu pitié de moi, quand je t’ai demandé