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donner de l’incident de la salle de bains une explication toute naturelle cependant. On lui eût démontré que ce qui m’avait si fort effrayé, c’était peut-être le reflet mouvant d’une serviette sur la surface humide du dallage, peut-être l’ombre d’une feuille, projetée du dehors, à travers la croisée, qu’elle n’eût certainement voulu admettre rien de semblable. Son esprit, nourri de rêves, tourmenté par les exagérations pessimistes, instinctivement porté vers le mystérieux et le fantastique, acceptait, avec une dangereuse crédulité, les raisons les plus vagues, subissait les plus troublantes suggestions. Elle imagina que ses caresses, ses baisers, ses bercements me communiquaient les germes de son mal, que les crises nerveuses dont j’avais failli mourir, les hallucinations qui m’avaient mis, dans les yeux, l’éclair sombre d’une folie, lui étaient comme un avertissement du ciel, et, dans cette minute même, la dernière espérance mourut en son cœur.

Marie retrouva sa maîtresse demi-nue, qui se tordait sur le lit.

— Mon Dieu ! mon Dieu ! gémissait-elle, c’est fini… Mon pauvre petit Jean !… Toi aussi, ils te prendront !… Mon Dieu, ayez pitié de lui !… Est-ce que ce serait possible ?… Si petit, si faible !…

Et, tandis que Marie ramenait sur elle les couvertures tombées, essayait de la calmer :

— Ma bonne Marie, balbutiait-elle, écoute-moi. Promets-moi, oui, promets-moi de faire ce que je te demanderai… Tu as vu, tout à l’heure, tu as vu, n’est-