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ments… Non seulement l’image de Juliette prostituée ne m’est plus une torture, elle m’exalte au contraire… Et je la cherche, je la retiens, je tâche de la fixer par d’ineffaçables traits, je la mêle aux choses, aux bêtes, aux mythes monstrueux, et, moi-même, je la conduis à des débauches criminelles, fouettée par des verges de fer… Juliette n’est plus la seule dont l’image me tente et me hante… Gabrielle, la Rabineau, la mère Le Gannec, la demoiselle de Landudec défilent toujours, devant moi, dans des postures infâmes… Ni la vertu, ni la bonté, ni le malheur, ni la vieillesse sainte ne m’arrêtent et, pour décors à ces épouvantables folies, je choisis de préférence les endroits sacrés et bénits, les autels des églises, les tombes des cimetières… Je ne souffre plus dans mon âme, je ne souffre plus que dans ma chair… Mon âme est morte dans le dernier baiser de Juliette, et je ne suis plus qu’un moule de chair immonde et sensible, dans lequel les démons s’acharnent à verser des coulées de fonte bouillonnante !… Ah ! je n’avais pas prévu ce châtiment !

L’autre jour, sur la grève, j’ai rencontré une pêcheuse de palourdes… Elle était noire, sale, puante, semblable à un tas de goémon pourrissant. Je me suis approché d’elle avec des gestes fous… Et, subitement, je me suis enfui, car j’avais la tentation infernale de me ruer sur ce corps et de le renverser, parmi les galets et les flaques d’eau… À travers la campagne, je marche, je marche, les narines au vent, flairant, comme un chien de chasse, des odeurs de femelles…