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— Ah ! quel malheur, mon chéri !… J’avais oublié !… vite, vite, commande une voiture… Oh ! quel malheur !

Je n’essayai pas de la retenir… Affalé sur une chaise, immobile, sombre, la tête dans les mains, j’assistai aux préparatifs du départ, sans prononcer une parole, sans laisser échapper une prière… Juliette allait, venait, pliant ses robes, rangeant son nécessaire, refermant ses malles, et je n’entendais rien, je ne voyais rien, je ne savais rien… Des hommes entrèrent, dont les pas pesants faisaient craquer le plancher… Je compris qu’ils emportaient les malles. Juliette s’assit sur mes genoux.

— Mon pauvre chéri, pleurait-elle, cela te fait de la peine que je m’en aille ainsi… Il le faut… sois sage… Et puis, bientôt, je reviendrai… pour longtemps… Ne sois pas ainsi… Je reviendrai… Je te le promets… J’emmènerai Spy… J’emmènerai un cheval aussi, pour me promener, tu veux, pas ?… Tu verras comme ta petite femme monte bien… Embrasse-moi donc, mon Jean !… Pourquoi ne m’embrasses-tu pas ?… Jean voyons !… Adieu ! Je t’adore !… Adieu !

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Il faisait nuit quand la mère Le Gannec pénétra dans ma chambre. Elle alluma la lampe et, doucement, s’approcha de moi.

— Nostre Mintié ! nostre Mintié !

Je levai les yeux vers elle, et elle était si triste, il y avait en elle tant de miséricordieuse pitié, que je me précipitai dans ses bras.