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à être coquette !… Si tu savais !… Tu comprends, il y a des choses que je ne peux pas te dire… Mais si tu savais quel supplice c’est pour moi !… Tu es malheureux, toi !… Eh bien, moi ?… Tiens, si je n’avais pas l’espoir de vivre avec mon Jean, souvent, j’ai tant de dégoût que je me tuerais.

Et, rêveuse, câline, elle revenait à ses bergeries, à ses petits sentiers de verdure, au calme de l’existence douce et cachée, avec des fleurs, des bêtes, et de l’amour… Ah ! de l’amour dévoué, soumis, de l’amour éternel, de l’amour qui nous illuminerait, jusqu’à la mort, ainsi qu’un chaud soleil.

Nous sortîmes après le déjeuner, que la mère Le Gannec nous servit sévèrement, sans desserrer les lèvres une seule fois. À peine dehors, comme la brise fraîchissait et lui défrisait les cheveux, Juliette désira rentrer.

— Ah ! le vent, mon chéri !… Le vent, vois-tu, je ne peux pas supporter ça… Il me décoiffe et me rend malade !…

Elle s’ennuya toute la journée, et nos baisers ne suffirent pas à en remplir le vide… De même qu’autrefois, dans mon cabinet, elle étendit une serviette sur sa robe, sur la serviette posa de menues brosses et des limes et, grave, se mit à lisser ses ongles. Je souffrais cruellement, et la vision du vieux homme, à la fenêtre, m’obsédait.

Le jour suivant, Juliette me déclara qu’elle était obligée de partir le soir même.