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— Alors, tu aimes mieux que je sois à d’autres toujours ?…

— Ah ! tais-toi, Juliette !… tais-toi !… Ne parle jamais comme cela, jamais !…

— Es-tu drôle !… Allons, sois gentil, et embrasse-moi !…

Le lendemain, pendant qu’au milieu des malles ouvertes, des robes étalées partout, elle s’habillait, très déconcertée de l’absence de sa femme de chambre, elle forma une quantité de projets pour la journée… Elle voulait se promener sur la jetée, monter au phare, pêcher, aller à la dune, et s’asseoir à la place où j’avais tant pleuré… Elle se réjouissait d’apercevoir de jolies Bretonnes, en costume soutaché et brodé, comme au théâtre, de boire du lait, dans des fermes !

— Il y a des bateaux ici ?

— Mais oui.

— Beaucoup ?

— Mais oui.

— Ah ! quelle chance, j’aime tant les bateaux !

Puis elle me contait les nouvelles de Paris… Gabrielle n’était plus avec Robert… Malterre se mariait… Jesselin voyageait… Il y avait eu des duels… Et des anecdotes sur tout le monde !… Toute cette mauvaise odeur de Paris me ramenait à des mélancolies, à des souvenirs poignants… Me voyant triste, elle s’interrompait, m’embrassait, prenait des airs navrés :

— Ah ! tu crois peut-être que cette existence me plaît ! gémissait-elle… que je ne songe qu’à m’amuser,