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— Et toi ? et toi ? ma Juliette, as-tu pensé à moi seulement ?

— Ah ! moi, quand je ne t’ai plus trouvé à la maison, j’ai cru que j’allais mourir… Célestine m’avait dit qu’un homme était venu te prendre ! J’ai tout de même attendu… Il rentrera, il rentrera… Et tu ne rentrais pas… Et j’ai couru chez Lirat, le lendemain !… Ah ! si tu savais comme il m’a reçue !… comme il m’a traitée !… Et je demandais à tout le monde : « Savez-vous où est Jean ? » Et personne ne pouvait me répondre… Oh ! méchant ! partir comme ça… sans un mot !… Tu ne m’aimais donc plus ?… Alors, tu comprends, j’ai voulu m’étourdir… Je souffrais trop !…

Sa voix prit une intonation brève :

— Quant à Lirat !… sois tranquille, mon chéri, je me vengerai de lui… Et tu verras !… Ça sera farce !… Quelle crapule que ton ami Lirat !… Mais tu verras, tu verras.

Une chose me tourmentait : combien de jours, de semaines Juliette passerait-elle avec moi ?… Elle avait apporté six malles ; donc, elle avait l’intention de demeurer au Ploc’h un mois au moins, peut-être davantage… À la joie si grande de la posséder, sans trouble, sans crainte, se mêlait une vive inquiétude… Je n’avais pas d’argent… et je connaissais trop Juliette pour ne point ignorer qu’elle ne se résignerait pas à vivre comme moi, et je prévoyais des dépenses que je n’étais pas en état de supporter… Or comment faire ?… N’osant l’interroger directement, je répondis :