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lant sous le maillot de soie violette, les cheveux en coup de vent…

— Je t’aime ! je t’aime !

— Non ! non ! il ne faut pas m’aimer !

Et les violons avaient des plaintes inouïes, les hautbois gémissaient, tandis que les contrebasses et les tympanons grondaient comme des vents d’orage et des roulements de tonnerre.

Ô cabotinisme de la douleur !

Chose curieuse ! la demoiselle de Landudec et Juliette ne faisaient plus qu’une ; je ne les séparais plus, je les confondais dans le même rêve extravagant et mélodramatique. Elles étaient trop pures pour moi, toutes les deux.

— Non ! non ! je suis un lépreux, laissez-moi !

Elles s’acharnaient à baiser mes plaies, parlaient de mourir, criaient :

— Je t’aime ! je t’aime !

Et vaincu, dompté, racheté par l’amour, je tombais à leurs pieds. Le vieux père, mourant, étendait les mains sur nous et nous bénissait tous les trois !

Cette folie dura peu, et, bientôt, je me retrouvai, sur la dune, face à face avec Juliette.

— Juliette ! Juliette !

Il n’y avait plus de violons, plus de hautbois ; il n’y avait qu’un hurlement de douleur et de révolte, le cri du fauve captif, qui réclame sa proie.

— Juliette ! Juliette !

Un soir, plus énervé que jamais, je rentrai, le cer-