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pauvre petite ! Sans doute qu’il va mieux aujourd’hui, et elle le promène un peu.

— Elle n’a plus sa mère ?

— Non ! voilà déjà bien longtemps qu’elle est morte.

— Ils sont riches ?

— Riches !… Point tant, allez ! Ça donne à tout le monde ! Si seulement vous alliez le dimanche à la messe, nostre Mintié, vous la verriez, la bonne demoiselle.

Ce soir-là, je m’attardai à causer avec la mère Le Gannec.

Plusieurs fois je la revis, la bonne demoiselle, sur la jetée, et, ces jours-là, la pensée de Juliette me fut moins lourde. Je rôdai autour du château, qui me parut aussi désolé que le Prieuré ; l’herbe poussait dans la cour, les pelouses étaient mal entretenues, les allées du parc défoncées par les charrettes pesantes de la ferme voisine. La façade de pierre grise, écaillée par le temps, verdie par la pluie, était aussi triste que les gros blocs de granit qu’on voit dans les landes… Le dimanche suivant, j’allai à la messe, et j’aperçus la demoiselle de Landudec, parmi les paysans et les marins, qui priait… Agenouillée sur son prie-Dieu, le corps mince incliné comme celui des vierges primitives, la tête penchée sur un livre, elle priait avec ferveur… Qui sait ?… Elle avait peut-être compris que j’étais malheureux, et, peut-être, me mêlait-elle à ses prières ?… Et tandis que le prêtre chevrotait des oraisons, tandis que la nef de l’église s’emplissait du bruit