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Et, de la voix chantante qu’ont les Bretonnes, elle disait :

— Le Gannec était le meilleur pêcheur du Ploc’h, et le plus intrépide marin de toute la côte. Aucun dont la chaloupe fût mieux armée, aucun qui connût comme lui les basses poissonneuses. Lorsque, par les gros temps, une chaloupe sortait, on pouvait être sûr que c’était la Marie-Joseph. Tout le monde l’estimait, non seulement parce qu’il avait du courage, mais parce que sa conduite était irréprochable et digne. Il fuyait le cabaret comme la peste, détestait les soulauds, et c’était un honneur que d’être de son bord… Faut vous dire aussi qu’il était patron du bateau de sauvetage… Nous avions deux gars, nostre Mintié, forts, bien découplés, hardis, l’un de dix-huit ans, l’autre de vingt, que le père avait dressés à être, comme lui, de braves marins… Ah ! si vous les aviez vus, mes deux jolis gars, nostre Mintié !… Et ça marchait bien, les affaires, si bien, qu’avec les économies, nous avions bâti cette maison et acheté ce mobilier… Enfin, nous étions contents !… Une nuit, il y a deux ans, le père et les gars ne rentrent point !… Je ne m’étonne pas… Ça lui arrivait quelquefois d’aller loin, jusqu’au Croisic, aux Sables, à l’Herbaudière… Dame ! il suivait le poisson, n’est-ce pas ?… Mais les jours passent, et personne !… Et voilà que les jours passent encore. Personne, tout de même !… Alors, chaque matin et chaque soir, j’allais sur le môle, et je regardais la mer… Je demandais aux marins : « T’as point