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avec leurs mains calleuses, leurs yeux tout pleins d’infini, et leurs dos qui font pleurer…

Même sur le quai, j’espérais encore la venue de Juliette… Certainement que, dans une seconde, elle serait là, pâle, défaite, suppliante, me tendant les bras : « Mon Jean, mon Jean, j’étais une mauvaise femme, pardonne-moi !… Ne m’en veux pas, ne m’abandonne pas… Que veux-tu que je devienne sans toi ?… Oh ! reviens, mon Jean, ou emmène-moi ! » Et des silhouettes s’effaraient, s’engouffraient dans les wagons… des ombres fantastiques rampaient, se cassaient aux murs ; de longues fumées s’échevelaient, blanchâtres, sous la voûte…

— Embrassez-moi, mon cher Mintié… Embrassez-moi…

Lirat m’étreignit sur sa poitrine… Il pleurait.

— Écrivez-moi, dès que vous serez arrivé… Adieu !

Il me poussa dans un wagon, referma la portière…

— Adieu !…

Claude Monet, Gare Saint-Lazare, 1877

Un sifflet, puis un roulement sourd… puis des lumières qui se poursuivent, des choses qui fuient, puis plus rien, qu’une nuit noire… Pourquoi Juliette n’est-elle pas venue ?… Pourquoi ?… et, distinctement, au milieu des jupons étalés sur les tapis, dans son cabinet de toilette, devant sa glace, les épaules nues, je l’aperçois qui secoue sur son visage une houppette de poudre de riz… Célestine, de ses doigts mous et flasques, coud, au col d’un corsage, une bande de crêpe lisse, et un homme, que je ne connais pas, à demi