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sible d’une existence champêtre avec Juliette, déguisée en bergère. Des paysages calmes comme des refuges, enchantés comme des paradis, défilent devant nous… Et nous nous exaltons, et nous nous extasions… Juliette pleure : « Mon pauvre mignon, je t’ai causé bien de la peine, mais c’est fini, maintenant, va ; je te le promets… Et puis, j’aurai un mouton apprivoisé, pas !… Un beau mouton, tout gros, tout blanc, que je cravaterai d’un nœud rouge, pas !… Et qui me suivra partout, avec Spy, pas ! »… Elle exige que je dîne, près de son lit, sur une petite table ; et elle a pour moi des câlineries de nourrice, des attentions de mère… elle me fait manger ainsi qu’un enfant, ne cessant de répéter d’une voix émue : « Pauvre mignon !… Pauvre mignon !… » À d’autres moments, elle devient songeuse et grave : « Mon chéri, je voudrais te demander une chose qui me tracasse depuis longtemps… jure que tu la diras. — Je te le jure. — Eh bien ?… quand on est mort, dans le cercueil, est-ce qu’on a les pieds appuyés contre la planche ? — Quelle idée !… Pourquoi parler de cela ? — Dis, dis, dis, je t’en prie ! — Mais je ne sais pas, ma petite Juliette. — Tu ne sais pas ?… C’est vrai, aussi, tu ne sais jamais, quand je suis sérieuse… parce que, vois-tu ?… moi je ne veux pas que mes pieds soient appuyés contre la planche… Lorsque je serai morte… tu me mettras un coussin… et puis une robe blanche… tu sais… avec des fleurs roses… ma robe du Grand Prix !… Tu auras un gros chagrin, pauvre mignon ?…