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aboyante de chiens m’eût poursuivi… C’était un dimanche, je me rappelle… il y avait beaucoup de monde dans les rues ensoleillées… J’étais convaincu que tous les regards s’attachaient sur moi, que tous ces gens, en me voyant courir, clamaient avec horreur : « C’est l’assassin de Juliette ! » Vers le soir, exténué, prêt à m’abattre sur le trottoir, je rencontrai Jesselin : « Hé ! dites donc, me cria-t-il, vous en faites de belles, vous ! — Vous savez déjà ?… » demandai-je, tremblant… Jesselin riait, il répondit : « Si je le sais ?… Mais tout Paris le sait, cher ami… Tantôt, aux courses, Juliette nous montrait son cou, et les marques que vos doigts y ont laissées. Elle disait : « C’est Jean qui m’a fait cela… » Sapristi ! vous allez bien, vous ! »… Et, en me quittant, il ajouta : « D’ailleurs, elle n’a jamais été plus jolie… Et un succès ! »… Ainsi, je la croyais morte, et elle se pavanait aux courses !… J’étais parti, elle pouvait penser que, plus jamais, je ne reviendrais, et elle était aux courses… plus jolie !…

Lirat, très grave, m’écoutait… Il ne marchait plus, s’était assis et balançait la tête… Il murmura :

— Qu’est-ce que vous voulez que je vous dise ?… Il faut vous en aller…

— M’en aller ? repartis-je… m’en aller ? Mais je ne veux pas !… Une glu, chaque jour plus épaisse, me retient à ces tapis ; une chaîne, chaque jour plus pesante, me rive à ces murs… Je ne peux pas !… Tenez, en ce moment, je rêve d’héroïsmes fous… je voudrais,