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mestiques, criant : « Venez, venez, j’ai tué Madame ! J’ai tué Madame ! » Je m’enfuis, dégringolant l’escalier, sans chapeau, j’entrai dans la loge du concierge : « Montez vite, j’ai tué Madame ! » Et me voilà, dans la rue, éperdu… Toute la nuit, j’ai couru, sans savoir où j’allais, enfilant d’interminables boulevards, traversant des ponts, m’échouant sur les bancs des squares, et revenant, toujours, machinalement, devant notre maison… Il me semblait qu’à travers les volets fermés, des cierges tremblotaient ; des soutanes de prêtres, des surplis, des viatiques, passaient, effarés ; que des chants funèbres, que des bruits d’orgues, que des sifflements de cordes sur le bois d’un cercueil, m’arrivaient. Je me représentais Juliette, étendue sur son lit, parée d’une robe blanche, les mains jointes, un crucifix sur la poitrine, des fleurs tout autour d’elle… Et je m’étonnais qu’il y n’eût point encore, à la porte, des draperies noires et, sous le vestibule, un catafalque avec des bouquets, des couronnes, des foules en deuil, se disputant l’aspergeoir… Ah ! Lirat, quelle nuit !… Comment je ne me suis pas jeté sous les voitures, fracassé la tête contre les maisons, élancé dans la Seine !… Je n’en sais rien !… Le jour parut… J’eus l’idée de me livrer au commissaire de police ; j’avais envie d’aller au-devant des sergents de ville et de leur dire : « J’ai tué Juliette… Arrêtez-moi ! »… Mais les pensées les plus extravagantes naissaient dans ma cervelle, s’y bousculaient, faisaient place à d’autres… Et je courais, je courais, comme si une meute