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chaque instant : « Elle me quittera, » et jamais, jamais : « Elle me trompera. »… N’avoir pas deviné ce bouge, ce vieux, toute cette fange !… Non, en vérité, je n’y songeais pas, aveugle brute que j’étais… Elle devait bien rire, quand je la suppliais de ne pas me quitter !… Me quitter, ah ! oui, me quitter !… Elle ne le voulait pas… Je comprends maintenant… Je lui suis non pas une pudeur, non pas une honorabilité, mais bien une enseigne, une marque de fabrique… une plus-value !… Oui, qu’on la voie à mon bras, et elle vaut davantage, elle peut se vendre plus cher que si, goule nocturne, elle s’en allait, rôdant sur les trottoirs et fouillant l’ombre obscène des rues… Ma fortune, elle l’a dévorée d’un coup de dent… Mon intelligence, ses lèvres, d’un trait, l’ont tarie… Alors, elle spécule sur mon honneur, c’est logique… Sur mon honneur !… Comment saurait-elle qu’il ne m’en reste plus ?… Vais-je donc la tuer ? Être mort, et puis, après, c’est fini !… On se découvre devant le cercueil d’un bandit, on salue le cadavre de la prostituée… Dans les églises, les fidèles s’agenouillent et prient pour ceux-là qui ont souffert, pour ceux-là qui ont péché… Dans les cimetières, le respect veille sur les tombes, et la croix les protège… Mourir, c’est être pardonné !… Oui, la mort est belle, sainte, auguste !… La mort, c’est la grande clarté éternelle qui commence… Oh ! mourir !… s’allonger sur un matelas plus moelleux que la plus moelleuse mousse des nids… Ne plus penser… Ne plus entendre les bruits de la vie… Sentir l’infinie