Page:Mirbeau - Le Calvaire.djvu/215

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Oui, Marie.

Elle se recula comme effrayée :

— Mais vous êtes donc un méchant enfant, monsieur Jean ?

Je ne répondis rien. Marie sortit de la salle à manger et ne m’adressa plus la parole.

Deux jours après, mes affaires terminées, les actes signés, je repartais… De ma fortune, il me restait de quoi vivre un mois, à peine. C’était fini, bien fini !… Des dettes écrasantes, des dettes ignobles, et rien !… Ah ! si le train avait pu m’emporter loin, toujours plus loin, n’arriver jamais ! C’est à Paris que je m’aperçus seulement que je n’avais pas été m’agenouiller sur les tombes de mon père et de ma mère.

Juliette me reçut tendrement. Elle m’embrassait avec passion.

— Ah ! mon chéri, mon chéri !… J’ai cru que tu ne reviendrais plus !… Cinq jours ! pense donc ! D’abord, si tu refais encore des voyages, je veux aller avec toi…

Elle se montrait si affectueuse, si véritablement émue, ses caresses me donnaient tant de confiance, et puis ce que j’avais de gros sur le cœur me semblait si lourd à porter, que je n’hésitai pas à lui tout avouer. Je la pris dans mes bras et l’assis sur mes genoux.

— Écoute-moi, ma Juliette, lui dis-je, écoute-moi bien… Je suis perdu, ruiné… ruiné, tu entends : ruiné !… Nous n’avons plus que quatre mille francs !…