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Et rapidement, j’ajoutai :

— Je vous les rendrai demain… demain matin.

Lirat fixa un instant ses yeux sur moi… Je revois encore ce regard… En vérité, il était douloureux.

— Cinq cents francs !… me dit-il… Où diable voulez-vous que je les prenne ?… Est-ce que j’ai jamais eu cinq cents francs ?

J’insistai, répétant :

— Je vous les rendrai demain… demain matin.

— Mais je ne les ai pas, mon pauvre Mintié !… Il me reste deux cents francs… Si cela peut vous être utile ?

Je pensai que ces deux cents francs qu’il m’offrait, c’était le pain de tout un mois. Je répondis, le cœur déchiré :

— Eh bien, oui !… Tout de même !… Je vous les rendrai demain… demain matin.

— C’est bon, c’est bon !…

J’aurais voulu, à ce moment, me jeter au cou de Lirat, lui demander pardon, lui crier : « Non, non, je ne veux pas de cet argent ! » Et, comme un voleur, je l’emportai.

Mes propriétés, le Prieuré lui-même, la vieille et familiale demeure, couverts d’hypothèques, furent vendus !… Ah ! le triste voyage que je fis à cette occasion !… Il y avait bien longtemps que je n’étais retourné à Saint-Michel ! Et cependant, aux heures de dégoût et de lassitude, dans la fièvre mauvaise de Paris, la pensée de ce petit pays tranquille m’était une douceur, un apaisement. Les souffles purs qui