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Les désastres se multipliaient, se précipitaient. Des billets, souscrits aux fournisseurs de Juliette, restèrent impayés, et c’est à peine si je pouvais, en empruntant partout, trouver l’argent nécessaire à notre existence quotidienne. Mon père avait laissé quelques créances à Saint-Michel. Généreux et bon, il aimait à obliger les petits cultivateurs dans l’embarras. Je lançai les huissiers, sans pitié, contre ces pauvres diables, faisant vendre leur masure, leur bout de champ, ce par quoi ils vivaient misérablement, en se privant de tout. Dans les maisons où je possédais encore du crédit, j’achetais des choses que je revendais aussitôt à vil prix. Je descendais jusque dans les brocantes les plus véreuses… Des projets de chantage inouïs germaient en moi, et je lassais Jesselin de mes perpétuelles demandes d’argent. Enfin, une fois, j’allai chez Lirat. Il me fallait cinq cents francs pour le soir, et j’allai chez Lirat, délibérément, effrontément ! Pourtant, en sa présence, dans cet atelier tout plein de souvenirs regrettés, mon assurance tomba, et j’eus une sorte de pudeur tardive… Je tournai autour de Lirat, pendant un quart d’heure, sans parvenir à lui expliquer ce que j’attendais de son amitié… De son amitié !… Et je me disposais à partir.

— Eh bien, au revoir, Lirat.

— Au revoir, mon ami.

— Ah ! j’oubliais… Ne pourriez-vous pas me prêter cinq cents francs ? Je comptais sur mes fermages… Ils sont en retard.