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— Et Gabrielle Bernier ?… Est-elle aussi de la Société de Géographie ?

Juliette ne s’emportait jamais. Seulement, quand elle se fâchait, ses yeux devenaient subitement plus durs, le pli de son front se creusait davantage, sa voix perdait un peu de sa douce sonorité. Elle répondit simplement :

— Gabrielle est mon amie.

— C’est bien cela que je lui reproche !

Il y eut un moment de silence. Juliette, assise dans un fauteuil, tortillait les dentelles de sa robe de chambre, réfléchissait. Un sourire ironique erra sur ses lèvres.

— Alors, il faut que je ne voie personne ?… C’est ce que tu veux, n’est-ce pas ?… Hé bien, ça va être amusant !… Nous ne sortons jamais, déjà !… Nous vivons comme de vrais loups !…

— Il n’est point question de cela, ma chérie… J’ai des amis… je leur dirai de venir…

— Oui, je les connais, tes amis… je les vois d’ici !… des littérateurs, des artistes !… des gens qu’on ne comprend pas quand ils vous parlent… et qui nous emprunteront de l’argent !… Merci !…

Je fus blessé, et répondis vivement :

— Mes amis sont d’honnêtes garçons, tu entends, et qui ont du talent… Tandis que ce crétin et cette sale fille !…

— Assez, n’est-ce pas ! commanda Juliette… Tu veux ? c’est bien ! Je leur fermerai ma porte… Seulement, quand tu as exigé de vivre avec moi, tu aurais