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qu’elle se vantait d’être. Elle ne prenait de soin, n’avait de goût, n’exerçait de surveillance que pour sa lingerie de corps et pour son chien ; le reste lui importait peu, et les choses allaient comme elles voulaient, ou plutôt comme voulaient les domestiques. Notre personnel renouvelé se composait d’une cuisinière, vieille fille sale, avide, grincheuse, dont les talents en cuisine ne s’étendaient pas au delà du tapioca, de la blanquette de veau, de la salade ; d’une femme de chambre, Célestine, effrontée, vicieuse, qui n’avait d’estime que pour les gens qui dépensaient beaucoup d’argent ; enfin d’une femme de charge, la mère Sochard, qui prisait sans cesse, se saoulait effroyablement, afin d’oublier ses malheurs, disait-elle, son mari qui la battait et la grugeait, sa fille qui avait mal tourné. Aussi le gaspillage était-il énorme, notre table très mauvaise, le reste à l’avenant. Si, par hasard, nous avions du monde, Juliette commandait chez Bignon des plats très chers et très prétentieux. Je vis avec déplaisance des familiarités inconvenantes, une sorte de liaison amicale s’établir entre Juliette et Célestine. Quand elle habillait sa maîtresse, elle lui contait des histoires dont celle-ci se réjouissait, dévoilait les intimités malpropres des maisons où elle avait passé, donnait des conseils… Chez Mme K… on faisait comme ci ; chez Mme V… comme ça. Aussi, c’étaient des « chouettes places », on peut le dire. Souvent, Juliette se rendait à la lingerie où Célestine cousait, et elle restait là, des heures entières, assise sur une