Page:Mirbeau - Le Calvaire.djvu/175

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

colère, pas un bondissement !… Mes compliments !… Comme il aurait dit : « Qu’est-ce que vous voulez que cela me fasse ?… » Et son dos, courbé vers la table, demeurait immobile, sans un ressaut, sans un frisson !… Sa plume ne lui était pas tombée des doigts ; il continuait d’écrire !… Ce que je lui apprenais là, il le savait depuis longtemps… Mais l’entendre de ma bouche !… J’étais stupéfait, et — dois-je l’avouer ? — froissé que cela ne l’indignât pas !… Lirat se leva, et se frottant les mains :

— Eh bien ! quoi de nouveau ? me dit-il.

Je n’y pus tenir davantage. Je me précipitai vers lui, les larmes aux yeux.

— Écoutez-moi, criai-je en sanglotant… Lirat, par grâce, écoutez-moi… j’ai mal agi envers vous… je le sais, et je vous en demande pardon… J’aurais dû tout vous dire… Je n’ai pas osé… Vous me faites peur… Et puis, vous vous souvenez de Juliette, ici… de ce que vous m’avez raconté d’elle… vous vous souvenez… c’est cela qui m’en a empêché… Comprenez-vous ?

— Mais, mon cher Mintié, interrompit Lirat… je ne vous en veux pas du tout… Je ne suis ni votre père ni votre confesseur… Vous faites ce qui vous plaît, et cela ne me regarde en rien…

Je m’exaltais :

— Vous n’êtes pas mon père, c’est vrai… mais vous êtes mon ami, mon seul ami, et je vous devais plus de confiance… Pardonnez-moi !… Oui, je vis avec Juliette, et je l’aime, et elle m’aime !… Est-ce donc