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Je tournai le bouton :

— Ah ! c’est vous, Mintié ! s’écria Lirat… Entrez donc…

Lirat, assis devant sa table, écrivait une lettre.

— Vous permettez que j’achève ?… me dit-il. Deux minutes, et je suis à vous.

Il se remit à écrire. Cela me rassurait un peu de ne pas sentir sur moi le froid de son regard. Je profitai de ce qu’il me tournait le dos, pour parler, pour me soulager vite du fardeau qui m’oppressait l’âme.

— Comme il y a longtemps que je ne vous ai vu, mon bon Lirat !

— Mais oui, mon cher Mintié.

— J’ai déménagé…

— Ah !

— J’habite rue de Balzac.

— Beau quartier !…

J’étranglais… Je fis un suprême effort, rassemblai toutes mes forces… mais, par une étrange aberration, je crus devoir prendre une tournure dégagée… Ma parole d’honneur ! je raillai, oui, je raillai.

— Je vais vous apprendre une nouvelle qui vous amusera… ah ! ah !… qui vous amusera, j’en suis sûr… je… je vis… avec Juliette… Ah ! ah ! avec Juliette Roux… Juliette, enfin… ah ! ah !…

— Mes compliments !…

« Mes compliments ! » Il avait prononcé cela : « Mes compliments ! » d’une voix parfaitement calme, indifférente !… Comment ! pas un sifflement, pas une