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pointe comme une imperceptible odeur de pourriture.

— Juliette !

Juliette ne bouge pas… Mais le drap qui suit les ondulations du corps, moule les jambes, se redresse aux pieds, en un pli rigide, le drap me fait l’effet d’un linceul. Et l’idée de la mort, tout d’un coup, m’entre dans l’esprit, s’y obstine. J’ai peur, oui, j’ai peur que Juliette ne soit morte !

— Juliette !

Juliette ne bouge pas. Alors tout mon être s’abîme dans un vertige et, tandis qu’à mes oreilles résonnent des glas lointains, autour du lit je vois les lumières de mille cierges funéraires vaciller sous le vent des de profundis. Mes cheveux se hérissent, mes dents claquent, et je crie, je crie :

— Juliette ! Juliette !

Juliette enfin remue la tête, pousse un soupir, murmure comme en rêve :

— Jean !… mon Jean !

Vigoureusement, dans mes bras, je la saisis, comme pour la défendre ; je l’attire contre moi, et, tremblant, glacé, je supplie :

— Juliette !… ma Juliette !… ne dors pas… Oh ! je t’en prie, ne dors pas !… Tu me fais peur !… Montre-moi tes yeux, et parle-moi, parle-moi… Et puis serre-moi, toi aussi, serre-moi bien, bien fort… Mais ne dors plus, je t’en conjure.

Elle se pelotonne dans mes bras, chuchote des mots inintelligibles, se rendort, la tête sur mon épaule…