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Nous arrêtâmes un appartement, rue de Balzac, et il fallut nous occuper de l’aménager. Ce fut une grosse affaire. Toute la journée, nous courions les marchands, examinant des tapis, choisissant des tentures, discutant des projets et des devis. Juliette eût voulu acheter tout ce qu’elle voyait ; mais elle allait de préférence aux meubles compliqués, aux étoffes éclatantes, aux broderies massives. L’éclaboussement de l’or neuf, le papillotage des tons heurtés l’attiraient et la retenaient charmée. Si je tentais de lui adresser une observation, elle répondait aussitôt :

— Est-ce que les hommes connaissent ces choses-là ?… les femmes, ça sait bien mieux.

Elle s’entêta dans le désir de posséder une sorte de bahut arabe, effroyablement peinturluré, incrusté de nacre, d’ivoire, de pierres fausses, et qui était immense.

— Tu vois bien qu’il est trop grand, qu’il ne pourrait pas entrer chez nous, lui disais-je.

— Tu crois ?… Mais en lui sciant les pieds, mon chéri ?

Et, plus de vingt fois par jour, elle s’interrompait dans une conversation, pour me demander :

— Alors, tu crois qu’il est trop grand, le beau bahut ?

Dans la voiture, en rentrant, Juliette se pressait contre moi, me tendait ses lèvres, me couvrait de caresses, heureuse, rayonnante.

— Ah ! le vilain qui ne disait rien, et qui restait à