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je regarderais Juliette et les chefs-d’œuvre naîtraient de ses yeux, ainsi que les royaumes d’une féerie… Je n’hésitai pas à exiger le départ de Malterre, et à me charger de l’existence de Juliette. Malterre écrivit des lettres désespérées, pria, menaça ; finalement, il partit. Plus tard, Jesselin, avec le bon goût et l’esprit qu’il avait, nous raconta que Malterre, bien triste, voyageait en Italie.

— Je l’ai accompagné jusqu’à Marseille, nous dit-il… Il voulait se tuer, pleurait tout le temps… Vous savez, je ne suis pas un gobeur, moi ; mais, vraiment il me faisait de la peine… Non là, vrai !

Et il ajouta :

— Vous savez ?… Il était résolu à se battre avec vous… C’est son ami, monsieur Lirat, qui l’en a empêché… Moi aussi, du reste, parce que je ne comprends que les duels à mort.

Juliette écoutait ces détails, silencieuse, d’un air, en apparence, indifférent. Elle passait, de temps en temps, sa langue sur sa bouche ; il y avait dans ses yeux comme le reflet d’une joie intérieure. Pensait-elle à Malterre ? Était-elle heureuse d’apprendre que quelqu’un souffrît à cause d’elle ? Hélas ! je n’étais déjà plus en état de me poser ces points d’interrogation.

Une vie nouvelle commença.

Le quartier où demeurait Juliette ne me plaisait pas ; il y avait, dans sa maison, des voisinages qui m’étaient pénibles, et puis, surtout, l’appartement renfermait des souvenirs qu’il me convenait d’effacer.