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bons me sauront gré de mon humiliation volontaire ; je me dis aussi que mon exemple servira de leçon… Si, en lisant ces pages, un jeune homme, un seul, prêt à faillir, se sentait tant d’effroi et tant de dégoût, qu’il fût à jamais sauvé du mal, il me semble que le salut de cette âme commencerait le rachat de la mienne. Et puis, j’espère, quoique je ne croie plus en Dieu, j’espère qu’au fond de ces asiles de paix, où, dans le silence des nuits rédemptrices, monte, vers le ciel, le chant triste et consolateur de ceux-là qui prient pour les morts, j’espère que j’aurai ma part des pitiés et des pardons chrétiens.

Je possédais vingt deux mille francs de rente ; de plus, j’étais convaincu qu’en travaillant je pouvais gagner, dans la littérature, une somme égale, au moins… Plus rien ne me paraissait difficile ; la route était tracée devant moi sans un obstacle, et je n’avais plus qu’à marcher… Ah ! mes timidités, mes terreurs, mes doutes, le travail haletant, l’angoisse, il n’en était plus question. Un roman, deux romans par an, des pièces de théâtre même… Qu’était-ce, je vous prie, pour un homme amoureux, comme moi ?… Ne disait-on pas que X… et que Z…, des imbéciles irréparables et notoires, avaient fait, en quelques années, des fortunes énormes ?… Des idées de roman, de comédie, de drame, me venaient en foule, et je les indiquais d’un geste large et hautain… Je me voyais déjà accaparant toutes les librairies, tous les théâtres, tous les journaux, l’attention universelle… Aux heures d’inspiration pénible,