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rable existence ! Toujours enfermée dans sa chambre, n’osant pas sortir, et quelquefois battue, sans raison, par son père !… Une nuit, très tard, le père entra dans la chambre de Juliette et… (Comment vous exprimer cela ! disait Juliette rougissante… Oui, enfin, vous comprenez ?…) elle saute du lit, crie, ouvre la fenêtre… mais le père prend peur et s’en va… Le lendemain, Juliette partait pour Nancy, espérant vivre en travaillant… C’est là qu’elle avait connu Charles.

Tandis qu’elle parlait, d’une voix douce et toujours pareille, je lui avais pris la main, sa belle main, que je serrais avec émotion, aux endroits douloureux du récit. Et je m’emportais contre le père infâme… Et je maudissais la mère abandonnant son enfant !… Je sentais s’agiter en moi de formidables dévouements, gronder de sourdes vengeances… Quand elle eut fini, je pleurais à chaudes larmes… Ce fut une heure exquise !

Juliette recevait peu de monde ; des amis de Malterre, et deux ou trois femmes, amies des amis de Malterre. L’une d’elles, Gabrielle Bernier, grande blonde, très jolie, entrait toujours de la même façon.

— Bonjour, Monsieur… bonjour, petite… Ne vous dérangez pas, je me sauve.

Et elle s’asseyait sur un bras de fauteuil, en lissant son manchon, par gestes brusques.

— Figurez-vous que j’ai encore eu une scène, tantôt, avec Robert… Quel type, si vous saviez !… Il s’amène chez moi et me dit en pleurnichant : « Ma petite