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— Vous entrez dans le commerce ?

— Écoutez-moi… La peinture, c’est de la blague, mon petit Mintié !

Il s’anima, tourna dans la pièce, en agitant les bras.

— Giotto ! Mantegna !… Velasquez !… Rembrandt ! Eh bien ! quoi, Rembrandt !… Watteau ! Delacroix !… Ingres !… Oui, et puis après ?… Non, ça n’est pas vrai, la peinture ne rend rien, n’exprime rien, c’est de la blague !… c’est bon pour les critiques d’art, les banquiers, et les généraux qui font faire leur portrait, à cheval, avec un obus qui éclate au premier plan… Mais un coin de ciel, le ton d’une fleur, le frisson de l’eau, l’air… comprenez-vous ?… l’air !… toute la nature impalpable et invisible, avec de la pâte !… avec de la pâte ?

Lirat haussa les épaules.

— De la pâte qui sort des tubes, de la pâte fabriquée par les sales mains des chimistes, de la pâte lourde, opaque, et qui colle aux doigts, comme de la confiture !… Hein, dites, la peinture… quelle blague !… Non, mais avouez-le, mon petit Mintié, quelle blague !… Le dessin, l’eau-forte… deux tons… à la bonne heure !… Ça ne trompe pas, c’est honnête… et puis les amateurs s’en moquent, ne viennent pas vous embêter… ça ne tire pas de feux d’artifice dans leurs salons !… L’art vrai, l’art auguste, l’art artiste… le voilà !… La sculpture, oui… quand c’est beau, ça vous fiche des coups dans les entrailles… Et puis le dessin… le dessin,