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— Beaucoup, Madame, répondis-je.

Alors, elle me raconta, en un luxe de détails enfantins, l’histoire de Spy, ses habitudes, ses exigences, ses drôleries, les scènes dont il était la cause, avec la concierge qui ne pouvait le souffrir.

— Mais, c’est couché qu’il faut le voir, affirma-t-elle… Si vous saviez, il a un lit, des draps, un édredon, comme une personne… Chaque soir, je le borde… Et sa petite tête est si amusante, toute noire, là dedans… N’est-ce pas que vous êtes bien, bien drôlet, monsieur Spy ?

Spy se choisit une place commode sur la robe de Juliette et, après avoir tourné, tourné, tourné, il se roula en boule, disparaissant presque entièrement, dans les plis soyeux de l’étoffe.

— C’est ça !… Dodo, Spy, dodo, mon petit loulou !…

Durant cette longue conversation avec Spy, j’avais pu examiner Juliette à mon aise… Elle était vraiment très belle, plus belle encore que je l’avais rêvée sous la voilette. Son visage rayonnait réellement. Il était d’une telle fraîcheur, d’une telle clarté d’aurore que l’air, alentour, s’en trouvait tout illuminé. Lorsqu’elle se détournait, ou se penchait, je voyais ses cheveux lourds, très noirs, descendre le long de sa robe, en une natte énorme, qui donnait je ne sais quoi de plus virginal et de plus jeune à sa jeunesse. Il me sembla qu’un pli droit, volontaire, se creusait au milieu du front, à la racine des cheveux, mais il n’était visible que dans certaines lumières, et l’éclatante douceur