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Au cimetière, il prononça un discours. Cela n’avait étonné personne ; M… et D… n’étaient-ils pas égaux en renommée ? La cérémonie terminée, Lirat prit mon bras, et nous rentrâmes à pied, très tristes, dans Paris. Lirat paraissait absorbé en des réflexions pénibles, gardait le silence… Brusquement, il s’arrêta, croisa les bras, et balançant la tête, de cet air, comique à force de gravité, qu’il avait, il s’exclama : « Mais qu’est-ce que D… fichait là, hein, dites ? » Et c’était juste. Qu’est-ce qu’il fichait là, vraiment ? Venaient-ils donc de la même race, et allaient-ils à la même gloire, le fier artiste, aux pensées grandioses, aux immortelles œuvres, et l’autre, dont tout l’idéal était d’amuser, le soir, de ses plates sornettes, une assemblée de bourgeois enrichis et repus ?… Oui, en vérité, qu’est-ce qu’il fichait là ?

Que j’étais loin de ces sentiments hargneux quand, après le dîner, ayant piaffé sur les boulevards, heureux d’un bien être physique qui donnait à mes mouvements une légèreté, une élasticité particulières, je m’asseyais dans une stalle du théâtre des Variétés, où l’on jouait une opérette à succès. Le visage délicieusement fouetté par l’air froid du dehors, le cœur tout entier conquis à l’indulgence universelle, je jouissais véritablement. De quoi ? Je ne le savais, et peu m’importait de le savoir, n’étant pas d’humeur à me livrer, sur moi-même, à des investigations psychologiques. Justement j’étais arrivé pendant un entr’acte, et la foule encombrait les couloirs, très élégante. Après