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habituée à conduire la maison à sa fantaisie, m’était insupportable, en dépit de son dévouement ; ses manies m’exaspéraient, et c’étaient, à toutes les minutes, des discussions où je n’avais pas toujours le dernier mot. Pour unique société, le bon curé qui ne voyait rien de si beau que le notariat, et dont les sermons radoteurs m’agaçaient. Du matin au soir, il me chapitrait ainsi :

— Ton grand-père était notaire, ton père, tes oncles, tes cousins, toute ta famille enfin… Tu te dois à toi-même, mon cher enfant, de ne pas déserter ce poste… Tu seras maire de Saint-Michel, tu peux même espérer de remplacer ton pauvre père au conseil général, dans quelques années… Sapristi, c’est quelque chose, cela ? Et puis, je t’en réponds, les temps vont devenir diablement durs aux braves gens qui aiment le bon Dieu… Tu vois, ce brigand de Lebecq, le voilà du conseil municipal… Il ne rêve que de piller et d’assassiner, cette canaille-là… Nous avons besoin, à la tête du pays, d’un homme bien pensant, qui soutienne la religion et défende les bons principes… Paris, Paris !… Oh ! ces têtes folles de jeunes gens !… Mais veux-tu me dire, sacré mâtin, ce que tu as fait de bon à Paris ?… L’air est malsain, par là !… Regarde le grand Maugé… il est de bonne famille, pourtant… Ça ne l’a pas empêché d’en revenir avec un béret rouge ?… Ne voilà-t-il pas une belle affaire ?

Et il continuait de la sorte, pendant des heures, reniflant sa prise, agitant le spectre rouge du béret du