Page:Mirbeau - Le Calvaire.djvu/119

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

étonnaient qu’à demi ; mais que M. Mintié, M. le maire, n’en reçût pas davantage, cela les surprenait beaucoup. On faisait les suppositions les plus extraordinaires ; on se livrait à des commentaires ahurissants des informations données par le journal ; on consultait les anciens soldats, qui racontaient leurs campagnes avec des détails extravagants et prodigieux ; au bout de deux heures, on se séparait, l’esprit plus tranquille.

— Ne vous tourmentez point, m’sieu le maire… Vot’fi reviendra pour sûr colonel.

— Colonel, colonel ! disait mon père, en secouant la tête… Je n’en demande pas tant… Qu’il revienne seulement !…

Un jour, — on ne sut jamais comment cela était arrivé, — Saint-Michel se trouva plein de soldats prussiens. Le Prieuré fut envahi ; il y eut de grands sabres qui traînèrent dans notre vieille demeure. À partir de ce moment, mon père devint plus souffrant ; la fièvre le prit, il s’alita, et, dans son délire, il répétait sans cesse : « Attelle, Félix, attelle, parce que je vais aller à Alençon, pour chercher des nouvelles de Jean. » Il se figurait qu’il partait, qu’il était en route : « Allez, allez, Bichette, allez, psitt !… Nous aurons ce soir des nouvelles de Jean… Allez, allez, psitt… » ! Et mon pauvre père, doucement, s’éteignit entre les bras du curé Blanchetière, entouré de Félix et de Marie qui sanglotaient !…

Après six mois passés dans ce Prieuré, plus triste que jamais, je m’ennuyais à périr… La vieille Marie,