Page:Mirbeau - Le Calvaire.djvu/111

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une malédiction plus irrémédiable encore, il les jetait dans des décors apaisés, souriants, d’une clarté souveraine, des paysages roses et bleus, avec des lointains attendris, des gloires de soleil, des enfoncées de mer radieuse. Autour d’eux, la nature resplendissait de toute la magie de ses couleurs délicates et changeantes… La première fois qu’il consentit à paraître, avec un groupe d’amis, dans une exposition libre, la critique, et la foule qui mène la critique, poussèrent des clameurs d’indignation. Mais la colère dura peu — car il y a une sorte de noblesse, de générosité dans la colère, — et l’on se contenta de rire. Bientôt, la blague, qui exprime toujours l’opinion moyenne, dans un jet d’immonde salive, la blague vint remplacer très vite la menace des poings tendus. Alors, devant les œuvres superbes de Lirat, l’on se tordit, en se tenant les côtes à deux mains. Les gens spirituels et gais déposèrent des sous sur le rebord des cadres, comme on fait dans la sébile d’un cul-de-jatte, et ce sport — car c’était devenu un sport pour les hommes du meilleur goût et du meilleur monde — fut trouvé charmant. Dans les journaux, dans les ateliers, dans les salons, les cercles et les cafés, le nom de Lirat servit de terme de comparaison, d’étalon obligatoire, dès qu’il s’agissait de désigner une chose folle, ou bien une ordure ; il semblait même que les femmes — les filles aussi — ne pussent prononcer qu’en rougissant ce nom réprouvé. Les revues de fin d’année le traînèrent dans les vomissures de leurs couplets ; on