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Juliette… Qu’est-ce que cela vous regardait, cette Juliette ?…

— N’était-il pas naturel que je désirasse savoir le nom d’une personne à qui vous m’aviez présenté !… Et puis, franchement, en attendant qu’on ait inventé une machine autre que la femme pour fabriquer les enfants…

— En attendant, je suis une brute, interrompit Lirat, qui se rassit un peu honteux, devant son chevalet, et d’une voix tout à fait apaisée, me demanda :

— Mon petit Mintié, voulez-vous me donner un mouvement pour mon bonhomme ?… Ça ne vous ennuie pas ?… Dix minutes seulement.


Joseph Lirat avait quarante-deux ans. Je l’avais connu, un soir, par hasard, je ne sais plus où ; et, bien qu’il ne fût pas ordinairement expansif, bien qu’il eût la réputation d’être misanthrope, insociable et méchant, il me prit, tout de suite, en affection. N’est-il point affolant de penser que nos meilleures amitiés, qui devraient être le résultat d’une lente sélection ; que les événements les plus graves de notre vie, qui devraient n’être amenés que par un enchaînement logique des causes, ne sont, la plupart du temps, que le produit instantané du hasard ? Vous êtes chez vous, dans votre cabinet, tranquillement assis devant un livre. Au dehors, le ciel est gris, l’air froid : il pleut, le vent souffle, la rue est morose et boueuse ; par conséquent, vous avez toutes les bonnes