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extraordinaires. D’ailleurs, où que l’on aille et quoi que l’on voie, on ne se heurte jamais qu’à du désordre et à de la folie. Et la plus grande folie est de chercher une raison aux choses. Les choses n’ont pas de raison d’être, et la vie est sans but, puisqu’elle est sans lois. Si Dieu existait, comme le croit vraiment cet étrange et anormal Edison qui s’imagine l’avoir découvert dans le pôle négatif, pourquoi les hommes auraient-ils d’inutiles et inallaitables mamelles ? Pourquoi, dans la nature, y aurait-il des vipères et des limaces ? Pourquoi des critiques dans la littérature ? Et pourquoi, moi aussi, serais-je allé à La Bouille ?

Le jour que, sur les quais de Rouen, je m’embarquai pour La Bouille, rêvant à je ne sais quels paradis, la première chose que j’aperçus sur le bateau fut un vélocipédiste, la seconde un infirmier, la troisième un prêtre. Je les aperçus nettement tous les trois, je n’aperçus même qu’eux, bien qu’ils fussent perdus dans une foule de drapiers et de cotonniers, dont la plupart, terribles Livingstones séquanais, étaient coiffés de casques blancs et chaussés de jambières en cuir fauve. Cela me disposa mal à la joie. Il pleuvait et le vent d’ouest faisait clapoter le fleuve. Je pensai tout de suite que