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— Je ne désire pas causer ensemble, comme autrefois.

— Comme vous voudrez, monsieur Georges !… Mais c’est vrai, que je vous déteste moins, depuis que vous êtes raisonnable.

J’avais eu envie de la faire taire d’un coup de poing, tant ces paroles m’étaient cruelles. Mais je m’étais contenu. J’avais même eu la force de lui sourire. Et, en partant elle m’avait dit encore :

— Eh bien ! au revoir, monsieur Georges. Je suis contente, contente, que vous soyez si raisonnable !

— Oui, oui. Et je le serai plus encore, plus encore, tu verras !

Ah ! si elle avait pu lire dans mon cœur, si elle avait pu voir la haine, l’horrible haine, qui me tordait le cœur, elle serait partie pleine d’épouvante.

Et je pensais à cela, tout en marchant. Je marchais vite, très vite, faisant sonner mes souliers sur la terre, abattant les pousses d’arbre, les herbes, les fleurettes, sur mon passage, à coups de bâton. Je marchais sans but, sans autre but que de marcher, pour me briser les membres, pour éteindre dans mes veines le double feu de haine et d’amour qui me dévorait. Et je marchais aussi, loin des routes et loin des sentes, je longeais les haies, les fossés,