Page:Mirbeau - La Vache tachetée.djvu/191

Cette page a été validée par deux contributeurs.

suis un prolétaire, moi !… Et je m’en vante !… Hein ! croyez-vous qu’ils en feraient un nez !…

Et, en nous les désignant, il invectivait les portraits des hommes de guerre et des dames de cour qui ornaient de leurs figures un peu effacées les somptueux panneaux du grand salon.

— Crapules !… Assassins !… Prostituées !…

Je me souviens encore qu’à un moment, lui tapant sur l’épaule, je lui dis :

— Et les grévistes, cher Porcellet, les grévistes en l’honneur de qui nous venons de dîner si magnifiquement ?… Quelle vengeance pour eux, s’ils pouvaient te voir de leurs bouges, et voir tout ça !… tout ça ! Comme ça leur donnerait du cœur au ventre !

— Hein ?… Crois-tu !… approuva Porcellet qui, de plus en plus, s’animait et dont le rire d’ivrogne, subitement lâché, creva en hoquets dans un coussin de soie rose.

Le hasard d’une promenade à bicyclette m’amena, il y a huit jours, dans ses terres. Cela s’appelle le domaine de Raillon, domaine considérable que notre farouche ami acheta, pour rien, du vieux marquis de Raillon, ruiné par lui. Porcellet aime à raconter cette histoire, assez sinistre, qu’il termine, invariablement, par cette exclamation :