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Une matinée, il s’enhardit jusqu’à interroger son gardien… Ce gardien était bon homme, malgré son air farouche. Il répondit :

— Ma foi !… Je pense qu’on vous aura oublié ici…

Il se mit à rire bruyamment, d’un rire qui souleva ses longues moustaches, comme un coup de vent soulève les rideaux d’une fenêtre entr’ouverte.

— J’en ai un, reprit-il, le numéro 814 ; il est au cachot depuis vingt-deux ans, comme prévenu !

Le gardien bourra sa pipe méthodiquement, et, l’ayant allumée, il continua :

— Qu’est-ce que vous voulez ? les prisons regorgent de monde en ce moment, et les juges ne savent plus où donner de la tête. Ils sont débordés !…

Jacques Errant demanda :

— Que se passe-t-il donc ? Est-ce qu’il y a une révolution ?

— Pire qu’une révolution… Il y a des tas d’effrontés et dangereux coquins qui s’en vont proclamant des vérités, par les chemins !… On a beau les juger tout de suite, ceux-là, et, tout de suite, les condamner : il en vient toujours ! Et l’on ne sait pas d’où ils sortent !…

Et, lançant une bouffe de fumée, il conclut :