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habillé, jouissant immensément à se sentir plus calme, apaisé, meilleur. Ces nocturnes escapades avaient d’abord été jugées imprudentes, puis inconvenantes pour un prêtre qui doit être retiré chez lui, aux derniers coups de l’Angélus. On en parlait, avec des airs entendus et des mines peu bienveillantes ; on ne pouvait admettre que ce fût pour le plaisir seul de contempler les champs, sous la lune, que l’abbé vagabondait ainsi, aux heures tranquilles où tout le monde se repose. Cela ressemblait fort à une criminelle aventure, à un rendez-vous défendu ; il y avait certainement, quelque part, une femme qui l’attendait, sous la protection obscène de l’ombre, et si cette femme pouvait être la femme d’un impie, d’un républicain, quelle joie de le surprendre avec elle et d’ajouter au péché d’impureté, étalé et flagrant, le caractère d’une trahison, d’un pacte conclu avec les ennemis de l’Église ! Dans l’espérance d’un scandale, qui eût débarrassé le diocèse de son tyran, on l’avait suivi, observé, espionné. Mais on n’avait rien découvert. Aucune trace de femme et, nulle part, la moindre indication d’une intrigue. L’abbé marchait, se hâtant, il est vrai, comme s’il avait un but, il marchait fiévreusement, furieusement, et c’était tout ! Si l’herbe était foulée, là où il avait passé, ce n’était que de la largeur de ses semelles ferrées, qui résonnaient sur la terre, et tiraient des étincelles à la pointe heurtée des cailloux. On fut fort dépité de cette nouvelle déconvenue, et il fallut bien s’habituer à considérer les sorties de l’abbé